22/12/2009
“Pour une gauche sans complexe”
90% des militants PS du Rhône ont voté contre le cumul des mandats malgré l’opposition des grands élus comme Gérard Collomb. Un projet porté dans le département par Jules Joassard, le jeune représentant du courant de Benoît Hamon, la gauche du PS.
Pourquoi vous êtes opposé au cumul des mandats ?
Jules Joassard : Parce que je me suis engagé au PS pour rejoindre Arnaud Montebourg, Vincent Peillon et Benoît Hamon qui tenaient un vrai discours de rénovation de la politique en promettant justement un changement des pratiques. C’était en 1993. J’étais encore étudiant. Mais aujourd’hui, je suis resté fidèle à cet objectif aux côtés de Benoît Hamon. Même si Arnaud Montebourg et Vincent Peillon ont évolué !
Vous comprenez qu’Arnaud Montebourg ait changé d’avis ?
Non. Il cumule son poste de député avec celui de président du Conseil général de Saône-et-Loire, en expliquant que ce serait nécessaire pour survivre dans le système politique actuel. Mais je regrette qu’il ait ainsi sacrifié le caractère exemplaire de sa trajectoire politique.
Vous pensez aussi que Gérard Collomb ne devrait pas être maire et sénateur ?
Oui. Diriger une grande ville comme Lyon est un mandat à plein temps. Il prétend que la gauche aurait perdu un poste au sénat s’il ne s’était pas présenté lui-même. Mais c’est faux car il n’y a pas de facteur personnel dans cette élection.
Mais Collomb aurait moins d’influence nationale s’il n’était pas sénateur !
Mais aujourd’hui, être parlementaire ne l’empêche pas de passer pour un baron de province ! Ce qu’il est… Et si un autre élu PS était au sénat à sa place, il serait plus présent que Collomb et ce serait plus facile de faire passer certains messages.
Le PS va s’affaiblir si c’est le seul parti à s’interdire le cumul de mandats ?
C’est l’argument principal des cumulards du PS. Ils veulent attendre qu’une loi l’impose à tous. Moi, je suis au contraire persuadé que si le PS est le premier à appliquer le non cumul des mandats, cela provoquera une dynamique électorale favorable.
Même en présentant des inconnus ?
Mais les électeurs attendent un renouvellement du personnel politique ! Prenez Olivier Dussopt, nouveau député de l’Ardèche, qui est de la même sensibilité de Benoît Hamon. Il a été élu à 29 ans face à un député sortant UMP ! Et c’est le benjamin de l’Assemblée nationale.
Au fond, qu’est-ce qui pousse les élus à cumuler les mandats ?
La recherche d’une certaine sécurité électorale car ils peuvent perdre un mandat à chaque élection. En fait, il faudrait un vrai statut de l’élu qui les aide à rebondir en cas de défaite.
Il n’y a pas aussi des raisons financières ??
Pas pour les grands cumulards car leurs indemnités sont plafonnées. C’est plutôt une question de volonté politique. Soit le PS défend des pratiques nouvelles, soit il fait comme la droite. Moi, je défends une gauche décomplexée qui affiche son identité et ses valeurs.
Mais on vous reproche d’être trop doctrinaire, trop rigide…
Oui, et même d’être archaïque ! On est la gauche du PS et on assume. Il y a toujours eu une sensibilité plus à gauche au PS qui tire sa force de cette diversité. Moi, je crois que la gauche se montrera au contraire plus moderne si elle se comporte différemment de la droite.
Qu’est-ce que Collomb pourrait faire de plus à Lyon ?
Construire du vrai logement social plutôt que de l’intermédiaire, s’abstenir de subventionner le football professionnel, renforcer la police municipale plutôt que multiplier les caméras de vidéosurveillance, remunicipaliser certains services…
Quels services devraient être remunicipalisés ?
Pourquoi pas les transports en commun ? Aujourd’hui, ce service est délégué à une entreprise privée dont le management provoque des grèves en série. En service public, avec d’autres choix budgétaires et une meilleure écoute des salariés, cela pourrait sans doute mieux fonctionner.
Mais Collomb n’aurait peut-être pas été réélu maire de Lyon s’il n’avait pas recentré son discours !
C’est impossible à savoir car on est dans la politique fiction. On ne peut pas rejouer les élections municipales de 2001 et de 2008 en imaginant une autre stratégie. Mais je crois qu’il aurait fait aussi bien avec une vraie politique de gauche car il aurait fait de meilleurs scores dans les arrondissements populaires de Lyon comme le 8e ou le 9e où certains électeurs ne votent plus pour nous à cause de ce recentrage.
Vous êtes contre l’alliance de Collomb avec le Modem ?
Oui. J’étais aussi opposé à ce que le PS soutienne un Modem aux cantonales dans le 5e arrondissement comme l’a imposé Collomb. Mais j’ai constaté à cette occasion qu’il s’est battu pour mettre le logo du PS sur les affiches de son candidat. Il faut croire que cela ne fait pas peur aux Lyonnais…
Même Martine Aubry s’est aussi alliée au Modem à Lille !
Justement, elle s’est rendu compte que ce n’était pas indispensable. De toute façon, ces alliances sont aujourd’hui contraires à la ligne définie au congrès de Reims fin 2008.
Au fond, vous voulez que le PS muscle son discours, quitte à perdre Lyon et la Communauté urbaine ?
Le PS n’a pas besoin des centristes pour être réformateur. Ni pour gagner des élections. Mais aussi le PS doit avoir une autre ambition que de faire du socialisme municipal. Car pour changer la vie, c’est au niveau national qu’il faut être élu !
Les villes et les régions que le PS a gagnées, c’est quand même un appui…
Pas forcément. L’enfermement actuel du parti autour de certains barons qui contrôlent tout sur leur territoire, cela ne crée pas une dynamique de nature à reconquérir le pouvoir au niveau national.
Vous réussissez à vous faire entendre au PS lyonnais ?
Difficilement. Le courant que je représente recueille 20% des voix. Du coup, Jacky Darne, le premier secrétaire fédéral, m’a donné un poste. Mais ce n’est pas de gaîté de cœur. Tout comme ses deux prédécesseurs, Sylvie Guillaume et Christiane Demontès. Je dirais même que je suis le souffre-douleur d’un certain nombre de grands élus !
Votre lutte contre le cumul, ce n’est pas aussi une manière d’obtenir une place ?
Si je cherchais à tout prix un poste, je m’y prendrais autrement. Je me suis simplement présenté aux élections municipales de Serezin-du-Rhône et j’ai fait 48% au second tour. Mais c’est une commune de moins de 1 000 habitants. Donc ça ne suffit pas pour être au Conseil municipal.
Mais vous avez quand même des élus ?
On est sous-représenté dans les listes PS. Mais on a quand même deux députés dans la région et plusieurs élus dans le Rhône comme Thomas Chadoeuf, le maire de Tarare, Sheila Mac Carron, adjointe à l’Arbresle, Evelyne Fontaine et Daniel Goux, adjoints à Saint-Priest, Chaïneze Kabouya et Lotfi Ben Khelifa, adjoints à Vénissieux…
Et pour les régionales ?
Pour ces élections, nous devrions avoir trois candidats en position éligible. D’ailleurs, Jean-Jack Queyranne a intitulé sa liste Une région d’avance. C’est peut-être un clin d’œil à notre motion Un monde d’avance !
Vous croyez vraiment que votre courant représente l’avenir du PS ?
Oui. D’autant plus que la crise a fait réfléchir sur les limites des dogmes du libre-échange et que les électeurs attendent un autre discours sur la répartition de la valeur ajoutée entre capital et travail, la réforme des impôts pour qu’ils soient plus justes, la lutte contre les délocalisations… Au lieu d’occuper les congrès du PS à parler du Modem !
Au fond, ce n’est pas vous qui empêchez le PS de prendre un virage réformiste ?
J’espère bien ! En tout cas, si vous parlez de ce virage social-libéral. Moi, je crois que pour rassembler la gauche et retrouver son élan électoral, le PS doit se positionner comme le mouvement qui défend les plus modestes. Mais je ne suis pas un révolutionnaire. Je suis simplement partisan d’un autre virage réformiste !
Et si Collomb devient un jour ministre de Sarkozy ?
Ça me semble exclu ! Collomb n’est pas Besson qui avait adhéré au PS pour récupérer un poste de député en pleine vague rose de 1997. C’est au contraire un homme de gauche qui a milité pendant des années dans l’opposition avant d’accéder au pouvoir.
Vous pensez que Collomb peut un jour quitter le PS ?
Non. Gérard Collomb a un vrai attachement idéologique et affectif au PS. Même s’il y a des nuances entre mes positions et les siennes, on est tous les deux convaincus que le parti socialiste reste l’outil principal de transformation sociale et de conquête du pouvoir pour la gauche.
Propos recueillis par Lionel Favrot
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